coup de bip
Le commandant Tom Golden et tout son équipage sont à bord du vaisseau stellaire « Horus ». Ils ont été chargés par leur état-major d’une nouvelle mission consistant à explorer un corps céleste identifié comme potentiellement habitable. Si c’est le cas, ce dernier deviendra alors la vingtième planète colonisée par l’humanité en moins de cent ans.
Il y a maintenant plus de dix mois qu’ils ont quitté la station spatiale sino-américaine de la lune de Vaaris. Si tout se passe bien, leur périple durera douze mois supplémentaires. C’est long. Même sur cette navette dernier cri qui comporte de multiples possibilités de divertissement. Car l’Horus, ce n’est pas de la merde, loin de là. En effet, le vaisseau possède un fitness, un jacuzzi, une salle de cinéma et une salle de jeux. A force de pratique, Tom Golden est d’ailleurs devenu imbattable au air hockey. Il songe même à se reconvertir professionnellement et se consacrer à plein temps à ce noble sport lorsque cette mission sera terminée.
Après avoir parcouru notre galaxie de long en large, le commandant pense qu’il est temps pour lui de raccrocher. Découvrir de nouvelles planètes, c’est bien mais il n’y a pas que ça dans la vie. Il rêve de prendre un brunch le dimanche matin avec son épouse et ses enfants. Et de regarder la télé, le soir, tranquille, avec la tête d’Arnold, son lévrier, posée sur ses genoux. Il a envie d’être avec sa famille et ses amis. Ils lui manquent. Il n’aurait pas dû accepter cette dernière mission. Mais maintenant, pas le temps pour les regrets. Les erreurs n'appartiennent qu'à nous-mêmes. Né pour amener sa part de progrès, Golden se rassure en se disant que, bientôt, il sera de retour sur Terre et il y restera pour de bon.
Le lieutenant Huang Fu lui demande de le rejoindre dans la cabine de pilotage. Ce dernier l’informe qu’ils ont capté un signal sur leurs ondes provenant d’un objet inconnu. L’objet en question n’est visible sur aucun de leurs radars. Fu et Golden réfléchissent à ce que cela pourrait signifier. Ils décident de contacter la station de Vaaris afin de savoir s’ils ont des informations de leur côté. Après plus d’une heure de communication entre Golden et la base, il s’avère qu’eux non plus ne détectent aucun vaisseau se situant dans leur proximité.
La procédure dans ce genre de cas consiste généralement par répondre au message afin de déterminer s’il s’agit bien d’un signal et non d’un problème technique.
- Quel est le message ? demande Golden.
- Un simple bip, dit le lieutenant Huang Fu.
- Un simple bip ? Rien d’autre ?
- Non, juste un bip.
- Très bien Fu, répondez par un coup de bip.
Il programme l’émetteur et envoie le message. Les deux hommes attendent dans le poste de pilotage. Trois minutes plus tard, nouveau coup de bip.
- Intéressant, dit Golden. Renvoyez un coup de bip.
- A vos ordres, dit Fu en manipulant l’émetteur.
Rebelotte, pile trois minutes plus tard, nouveau coup de bip en retour.
- J’aimerais tenter quelque chose d’autre. Pas un mais deux bips cette fois-ci.
- Bip bip ? demande Fu.
- Exactement.
Fu, conformément aux instructions du commandant, envoie le message. Quelques minutes plus tard, ils reçoivent un bip bip en retour.
- Qu’est-ce qu’on va faire ? demande Fu.
- Que pouvons-nous faire ? La position de l’objet nous étant inconnue, une quelconque intervention est impossible à ce stade.
Et c’est tant mieux se dit Golden car sinon, il faudrait alors s'assurer que les réserves en carburant soient suffisantes pour un changement de route et prolonger encore cette interminable mission. Le commandant décide de se changer les idées. Une partie d’air hockey s’impose. Il espère qu’il n’y aura plus de message. Ni une quelconque autre emmerde d’ailleurs. Il se rend dans la cabine de Pedro Sanchez, l'astrophysicien de cette mission. Il lui propose une partie que ce dernier accepte, visiblement content de se divertir un peu.
Ça va être sa fête, se dit le commandant.
La partie bat son plein et, comme il l’espérait, Golden mène 5 points à 2. Gagner, même au hockey pneumatique, est un sentiment tellement humain. Gagner est d’ailleurs plus qu’un sentiment, c’est un véritable besoin. C’est grâce à lui que l’humanité a évolué, repoussé sans cesse les limites de ses connaissances, inventé la bombe atomique, la bourse et les rideaux de douche.
Sanchez est sur le point de servir quand Fu fait irruption dans la salle de jeux. Golden remarque le regard inquiet de son lieutenant.
- Que se passe-t-il ? demande-t-il contrarié.
- J’ai quelque chose à vous montrer dans la cabine de pilotage, commandant.
- Très bien, je vous rejoins de suite.
- C’est urgent, commandant.
- Urgent urgent ?
- Oui, commandant.
- Très bien, je viens avec vous. Pedro, je crois que nous allons devoir remettre notre partie à plus tard si vous le voulez bien.
- Bien entendu, commandant. D’après le règlement de la ligue internationale de air hockey, article 4, alinéa b, tout joueur quittant la partie a perdu.
- Evidemment, Pedro, sur ce coup-là, c’est vous qui avez gagné. Mais je veux une revanche plus tard, d’accord ? dit Golden sur un ton qui se veut léger et détaché mais qui en fait transcrit une certaine frustration.
- D’accord commandant, avec plaisir, répond Pedro sur le même ton bien que cette fois-ci ce dernier cache plutôt une petite pointe de contentement.
Une fois arrivé dans le poste de pilotage, Golden demande :
- Qu’y-a-t-il encore ?
- Nous rencontrons un problème technique.
- De quel ordre ?
- D’un ordre relativement important.
- C’est-à-dire ?
- Eh bien, je n’ai plus les commandes du vaisseau.
- Comment ça ?
- Nous ne suivons plus notre plan de vol. Nous avons changé de cap.
- Et où allons-nous ?
- Aucune idée, commandant.
- Comment est-ce possible ?
- Je ne sais pas. En tous les cas, je ne peux plus contrôler l’Horus. Et il y a autre chose.
- Quoi d’autre ? demande Golden, exaspéré.
- Je ne peux plus entrer en contact avec la base de Vaaris.
- Vous voulez dire qu’ils ne nous entendent plus ?
- J’en ai bien peur mon commandant.
- Et que va-t-il se passer maintenant ?
- Aucune idée, commandant.
Nom de dieu de nom de dieu, quelle journée de merde, se dit Golden. Il sent l’angoisse peu à peu l’envahir. Une sensation froide, lourde, engluant son cerveau dans un cocon trop serré. Il faut qu’il respire. Qu’il pense positif, Piña Colada et plage de sable. Il est encore vivant. C’est déjà ça. Il y a toujours une solution. C’est du moins ce qu’il a appris à l’école d’astronautes, il y a bien des années. Et il s’est avéré que ce principe est en général vrai. S’il veut bruncher avec sa famille, caresser Arnold en regardant un épisode de Columbo ou foutre la branlée à ses collègues au air hockey, il doit s’en sortir. Et c’est ce qu’il va faire. Pas de place pour la peur. Il est le commandant Tom Golden, un astronaute émérite, décoré à de multiples reprises pour ses exploits. Il faut qu’il ait confiance en lui, en sa force intérieure, en sa bonne étoile. Il réunit tout l’équipage. Il s’efforce au mieux d’expliquer la situation sans créer une panique générale.
- Nous devons nous préparer à toute éventualité. Pour le moment, nous n’avons aucune idée d’où nous nous dirigeons. Il se pourrait que nous nous retrouvions face à des présences hostiles. Si tel est le cas, il faudra nous défendre et nous protéger les uns les autres.
Les trois jours suivants sont consacrés à essayer de contacter la station de Vaaris et reprendre le contrôle du vaisseau. Mais en vain. Il n’y a rien à faire. Le moral de tout l’équipage est au plus bas. Ils dérivent. Vers l’inconnu, pour un temps indéterminé. La tension est à son maximum, tout le monde est sur le qui-vive, chacun se relayant pour scruter l’horizon par les différents postes d’observation dans l’espoir de percevoir quelque chose. Et pour couronner le tout, le commandant n’a plus joué au air hockey. Il n’en a juste pas l’envie. Il lui est bien arrivé une fois ou deux de caresser nonchalamment le petit palet de plastique mais c’est à peu près tout.
Il regarde par le hublot se demandant quand ce cauchemar prendra fin. Puis soudain, un objet apparaît au loin. Sa forme se dévoile peu à peu. Il rassemble son équipage. Ils n’en croient pas leurs yeux. A quelques centaines de mètres du vaisseau se dresse une énorme pyramide blanche, scintillante, comme faite de marbre. A sa base, se trouve ce qui semble être une entrée.
Toujours sans qu’aucun membre de l’équipage ne puisse faire quoi que ce soit, l’Horus diminue sa vitesse et fait son approche. Le vaisseau tourne sur lui-même, de sorte à aligner le sas de sortie de l’appareil face à l’entrée de la pyramide. La manœuvre se fait doucement, avec précision. Il y a ensuite un léger choc dans l’habitacle au moment de l’impact. Puis plus rien. Pas un bruit.
D’entente avec le reste de ses collègues, il a été décidé qu’en cas de sortie, c’est Golden qui l’effectuerait. En attendant, Fu prendra sa place au sein de l’Horus. Sans perdre un instant, le commandant revêt sa combinaison spatiale, s’équipe également d’un pistolet laser et se rend dans le sas. Fu le décompresse et libère la porte externe du vaisseau. Golden prend une grande inspiration, ouvre la porte et se propulse légèrement pour parvenir sur le socle de l’entrée de la pyramide. Il respire à nouveau profondément et tourne l’écoutille. Il pousse la porte et pénètre dans l’étrange objet.
"Coup de bip" est un extrait de la nouvelle "Fréquence de l'Amour", en vente ici.